Françoise Tomeno

Françoise Tomeno

LUCIOLES

En ces temps où, comme le dit Georges Didi-Huberman (1) , « les « féroces projecteurs » de la grande lumière (du règne et de la gloire) dévorent toute forme et toute lueur, - toute différence (2), « où  il y a tout lieu d’être pessimiste (…), il est d’autant plus nécessaire d’ouvrir les yeux dans la nuit, de se déplacer sans relâche, de se remettre en quête de lucioles » (3)

Les rencontres qui font l’objet de ces récits ont été pour moi, lors même de leur surgissement, des lucioles qui éclairaient avec tranquillité la route que je partageais avec mes collègues. S’ils passent par là, ils reconnaîtront l’un ou l’autre, les rires, les inquiétudes, les partages, et ce sera mon clin d’œil adressé par-dessus les années qui passent.


Aujourd’hui où les temps s’assombrissent, où  exercer sa profession dans les secteurs du soin devient un véritable exercice d’équilibre, fragile, menacé à tout moment d’effondrement, ces petites histoires me reviennent comme une injonction à poursuivre dans la voie de cette attention aux petites choses de la vie, fussent-elles celles qui se déroulent dans les bistrots, où des parcelles d’humanité se développent souvent dans une absolue discrétion.


Il faut d’abord que quelqu’un soit là, dans une certaine vacance, pour se laisser surprendre par une parole, un déplacement, un léger changement dans les habitudes. Mais il faut, aussi qu’il y ait quelqu’un à qui le raconter. C’est ce qui s’est passé pour ces petits Contes Psychanalytiques.  «  Le sens d’une action », dit Hanna Arendt, citée par Georges Didi-Huberman (4), « n’est révélé que lorsque l’agir lui-même est devenu histoire racontable » (5).


Paroles agissantes  qui accueillent, entourent, engagent une rencontre, dans un cadre professionnel, dans un bistrot : « On n’aperçoit pas du tout la même chose selon qu’on élargit sa vision à l’horizon qui s’étend, immense et immobile, au-delà de nous, ou selon qu’on aiguise son regard sur l’image qui passe, minuscule et mouvante, toute proche de nous. L’image est luciola des intermittences passagères, l’horizon baigne dans la luce des états définitifs, temps arrêtés du totalitarisme ou temps terminés du Jugement dernier. Voir l’horizon, l’au-delà, c’est ne pas voir les images qui viennent nous effleurer. Les petites lucioles donnent forme et lueur à notre fragile immanence » (6).


J’aimerais que ces petites histoires d’enfances, ces petites histoires de bistrot, clignotent avec fantaisie, malice, et cependant avec toute la gravité des choses sérieuses, comme des petites lueurs dans la nuit.


Le livre de Georges Didi-Huberman est pour moi une de ces petites lucioles qui redonnent énergie, espoir. Pour conclure, je lui laisse encore une fois la parole : « Cherchons donc les expériences qui se transmettent encore par-delà tous les « spectacles » achetés et vendus autour de nous, par-delà  l’exercice des règnes et la lumière des gloires. Nous sommes « pauvres en expérience » ? Faisons de cette pauvreté même – de cette demi-obscurité – une expérience ». (7)



Françoise Tomeno
14 juillet 2011


(1) Survivance des Lucioles, Georges Didi-Huberman, Paradoxes, Les Éditions de Minuit, mars 2010
(2) Idem, page 99
(3) Idem, page 41
(4) Idem, page131
(5) De l’humanité dans de « sombres temps ». Réflexions sur Lessing, Vies Politiques, Paris, Gallimard 1974
(6) Georges Didi-Huberman, ouvrage cité, page 99
(7) Idem, page 108